Hommage à Albert Gobat, prix Nobel de la Paix 1902

Au vu de la récente création à Tramelan d’une « Fondation Gobat pour la Paix » soutenue par le Grand Conseil du Canton de Berne et la grande majorité des Communes du Jura bernois, il est peut-être bon de faire connaître un peu mieux la personnalité qui se cache derrière celui qui a reçu en 1902, avec Elie Ducommun, le prix Nobel de la Paix.

Albet Gobat naît à Tramelan le 21 mai 1843, il est fils du pasteur Philibert Gobat.

Il suit l’école primaire à Tramelan puis l’internat près de Stuttgart et le Progymnase de La Neuveville. Il passe sa maturité à Bâle en 1862 et entreprend des études de droit à Bâle, Heidelberg et Paris pour obtenir son brevet d’avocat. Après quelques années de pratique et d’enseignement à Berne, il reprend en 1868 l’étude de notaire du conseiller national radical Carlin à Delémont. C’est à cette époque qu’il rencontre Elie Ducommun et devient membre

du parti radical démocratique. Il se marie dans cette ville où naissent ses 4 enfants.

La guerre franco-allemande de 1870 qui voit l’annexion par la Prusse de l’Alsace et de la Lorraine le marque durablement.

La famille Gobat a certainement été influencée par l’évènement qui se produisit à Tramelan en 1839, à savoir le grand incendie qui a réduit en cendres une quinzaine de maisons, dont l’école et l’église dans laquelle les archives de la paroisse, de la commune et de la bourgeoisie étaient entreposées. Le pasteur Gobat fut chargé des nombreuses tâches liées aux sans- abri et aux projets de reconstruction.

Un grand élan de solidarité s’est développé dans le village et a eu un fort impact sur le développement économique qui a suivi avec notamment le doublement de la population au cours du demi-siècle suivant !

Il est élu député au printemps 1882 par les citoyens de son district natal et est nommé conseiller d’Etat en juillet de la même année. Il remplit cette tâche durant 30 ans, soit jusqu’en

juillet 1912 ; il préside 3 fois le Gouvernement cantonal.

Il s’occupe notamment de la Direction de l’instruction publique où il est chargé de l’organisation de l’enseignement laïque et encourage la création d’écoles professionnelles tout en améliorant la formation du corps enseignant, ceci en éditant une nouvelle loi sur l’école primaire.

Dès 1906, il reprend la Direction de l’Intérieur où il s’attaque au paupérisme, à l’alcoolisme et fait face aux conflits sociaux en défendant fermement la loi sur la protection des ouvrières de 1908 qui interdisait le travail des femmes au-delà de huit heures du soir.

Il a une influence prépondérante dans l’élaboration de la constitution cantonale bernoise de 1893.

Albert Gobat déploie également une grande activité dans les deux Chambres de l’Assemblée fédérale où il est nommé en tant que conseiller des Etats en 1884 ; il occupe pendant 6 ans un des deux sièges dévolus au canton de Berne.

En 1890, le corps électoral du Jura bernois l’envoie siéger au Conseil national dont il est un membre éminent jusqu’à son décès !

Il retrouve entre 1896 et 1912, sur les bancs du parti radical, son ami de Tramelan Virgile Rossel qui, ayant suivi la même formation, fut un des auteurs du Code civil suisse avant d’être élu en 1912 au Tribunal Fédéral, qu’il présida en 1929 !

Parmi ses nombreuses interventions au Parlement fédéral, on peut citer la motion déposée en mars 1892 conçue ainsi :

« Le Conseil fédéral est sollicité pour une entente internationale, analogue à la Convention de Genève, pour la protection en temps de guerre des édifices publics consacrés à l’instruction et ceux abritant des collections scientifique et artistiques dus aux efforts individuels dans chaque nation qui témoignaient ainsi des aspirations des peuples envers tout ce qui est beau grand et noble »

Cette motion généreuse, restant d’actualité, fut approuvée par le Conseil national.

Il participe dès 1891 aux conférences de l’Union interparlementaire dont il devient rapidement secrétaire général puis président. Il instaure un bureau permanent pour organiser avec sa fille Marguerite les bulletins d’information et les manifestations ; il propose notamment la création d’une Cour internationale permanente d’arbitrage pour statuer sur tous les conflits entre nations.

Le problème du maintien de la Paix en Europe le préoccupe fortement depuis l’annexion de l’Alsace et la Lorraine, source de tensions et de guerre potentielle.

Il condamne publiquement les expéditions coloniales. Son pacifisme ne s’oppose pas à la défense nationale de la Confédération : il l’admet comme légitime pour un pays neutre et démocratique.

Albert Gobat est, dès 1889, parmi les fondateurs du Bureau international de la paix (BIP) avec siège établi à Berne. Les tâches d’organisation des congrès et de la direction furent confiées dès 1892 à Elie Ducommun.

Il était financé par des dons privés, des contributions de pacifistes puis également par des subventions publiques de Suisse, Norvège et Danemark.

C’est pour ces activités, bénévoles, qu’Albert Gobat et Elie Ducommun reçoivent conjointement en 1902, le Prix Nobel de la Paix ce qui leur permet d’acheter, pour exercer leurs activités, un immeuble de Berne à la Kanonenweg !!

En 1904, il rencontre le président des Etats-Unis, Th. Roosevelt pour lui présenter une pétition relative à la convocation d’une seconde Conférence de la Haye visant à promouvoir l’arbitrage international. Elle fut accueillie très favorablement par le locataire de la Maison Blanche.

Après le décès de son ami Ducommun en 1906, Albert Gobat reprend les rênes du BIP, association qui fut honorée du même prix Nobel en 1910 !

Il sent monter le péril en Europe et prononce un vibrant appel en faveur de la paix entre les peuples pouvant décider du destin de notre continent et publie un remarquable ouvrage « Le Cauchemar de L’Europe ». Ce dernier précise : « La fédération et l’arbitrage international obligatoires sont des moyens radicaux d’organisation de la Paix ». Il veut également dénoncer les intrigues nationalistes et les rivalités économiques qui menacent l’avenir de l’Europe, tout en présentant la Suisse pluriculturelle de ses vingt-deux cantons.

Malgré son inlassable activité publique en tant qu’homme d’Etat en faveur de l’intérêt général, pour preuve sa maxime « Tout pour le peuple », il est resté très attaché aux lieux de son enfance : Tramelan, son école, ses prés et forêts, Crémines, sa commune d’origine où habite son oncle.

Il participe volontiers aux fêtes et manifestations locales et régionales, notamment (Fête des Eaux à Tramelan, inaugurations du funiculaire de St-Imier-Mt-Soleil et de la ligne de Chemin de Fer Saignelégier-Glovelier).

Il a également été membre du Conseil d’administration des CFF.

Albert Gobat avait coutume de dire, parlant des relations entre le Jura bernois et l’ancien canton, « Berne nous est nécessaire et nous lui sommes nécessaires. Seulement il faut quelquefois leur montrer les dents, à ces Bernois ».

Au matin du 16 mars 1914, à Berne en pleine séance de comité du BIP, il décède subitement d’une attaque d’apoplexie.

Lors de ses obsèques, les hommages rendus sont unanimes : c’était une des figures les plus marquantes venues au pacifisme. On salua sa vigueur physique et morale, la dignité de sa vie consacrée largement à l’idéal humain qui est d’assurer la paix entre les peuples. Le parlement suisse perd un de ses doyens les plus en vue, figure intéressante et originale au caractère ferme, désintéressé et généreux.

Puisse son travail infatigable qui lui valut le Prix Nobel de la Paix, rejaillir encore longtemps sur la Suisse, le canton de Berne et Tramelan, son village natal.

André Tellenbach Pdt PLR Tramelan

Références :

Tramelan village de l’Erguel, Tome II, 1984 par R. Stähli Pacifisme(s) Revue Intervalle No 64, 2002